Le porte-étendard d’une génération frustrée

 

« Les yeux d’une biche », « virage ya violence » ou même « N na N » ces déclarations ludiques sont désormais devenues des slogans connus au sein de la communauté congolaise. Dans son cadre bien connu, avec le drapeau zaïrois en arrière-plan, Boketshu Wa Yambo (alias Boketshu le Premier) diffuse ses monologues quotidiens sur sa propre chaîne YouTube BokotoTv. Durant lesquels, il analyse la politique congolaise et fustige le régime en place dans son pays d’origine. C'est à partir de ce moment que les slogans susmentionnés sont devenus des «memes» sur Tiktok, Facebook, Instagram et Twitter. Mais qui est Boketshu Wa Yambo ? Et comment se fait-il que cet homme ait près de 50 000 abonnés sur sa chaîne Youtube ? Pour répondre à ces questions, nous devons retourner dans les années 1980 dans la grande province congolaise de l’Equateur.

Mbandaka, milieu des années 80, l'un des bastions du mobutisme est le lieu où commence l'histoire de Boketshu. Le peuple guerrier Mongo qui habite la ville depuis des siècles était naturellement très fier que l'un d'entre eux soit président du puissant Zaïre. Car n'est-ce pas dans leur ville que « Tata Mokonzi » avait vécu la plus grande partie de sa jeunesse ? Pendant ces années 80 économiquement difficiles, de nombreux jeunes quittent la ville pour se rendre dans la capitale. Y compris le jeune adolescent Boketshu, qui plus tard ajoutera "Wa yambo" (le premier en Lingala littéraire) à son nom. Pour lui, Kinshasa est la terre promise.

Les premiers mois dans la capitale sont infernaux pour le jeune Boketshu. Il doit s'adapter à la dure réalité urbaine où, entre autres, il constate que la plupart de ses homologues sont dépendants de l'alcool ou de la drogue. Mais dans tout cela, il redécouvre un talent: le chant populaire. Dans les quartiers de la commune de Kintambo, il vend de l'alcool et dorlote les clients en chantant des chansons enjouées et entraînantes. Il est découvert par le groupe Swede Swede lors d'un enterrement traditionnel. A l'instar de ses contemporains Mabele Elisi et Mimi Mongo, il veut mettre la culture Mongo sur la carte. C'est le début d'une carrière fulgurante en tant que musicien.

Lorsque, à la fin des années 1980, les responsables culturels de l'entourage du président Mobutu le contacte pour faire appel à ses services, il acceptera sans hésiter. C'est ainsi qu'il aura l’opportunité de parcourir tout le Zaïre. La beauté de son propre pays et surtout celle de l'Est du Congo le marqueront pour le reste de sa vie. De retour à Kinshasa, il interprète de nouvelles chansons avec des slogans comme "etutana" et "première position", qui seront repris plus tard par Koffi Olomide dans son tube mondial "LOI". Boketshu est plus populaire que jamais. Les jeunes mobutistes lui demandent chaque semaine de se produire dans les clubs branchés de la ville.
La diaspora congolaise est également fascinée par le griot.

 

Au début des années 90, il effectue une tournée européenne avec son groupe Classic Swede Swede. Ils seront remarqués par la maison de disques belge "Crammed Disc". C’est avec un contrat en poche et après une tournée réussie qu’il retourne à Kinshasa pour un concert au Stade du 20 Mai, accompagné de Zouk Machine, Yvonne Chaka Chaka et Jimmy Mcgriff. Boketshu est au sommet et rien ne semble ne pouvoir aller mal, ou si?

Le 17 mai, les rebelles de l’AFDL triomphent à Kinshasa. Boketshu, qui a dû interrompre sa tournée à l'Est quelques mois plus tôt en raison de la situation sécuritaire, comprend que les beaux jours d'autrefois sont révolus. Une véritable chasse aux sorcières se fera et poussera plusieurs Mobutistes à quitter le pays. Sans visa pour l’Europe, bloqué au pays, ainsi commença la traversée au désert pour Boketshu Wa Yambo. Sa misère personnelle rimera également avec les nombreuses guerres au Congo, avec notamment des batailles dans sa ville natale Mbandaka.

Grâce à une tournée organisée par un tour manager français, Boketshu débarque à nouveau en Europe au début des années 2000, mais cette fois pour de bon. Le processus d'intégration est difficile et, songeant à son pays natal, Boketshu abandonne sa carrière musicale pour embrasser une nouvelle vocation : l’activisme. Lorsque, à la veille des premières élections congolaises de 2006, la diaspora congolaise commence à grogner de plus en plus fort contre la politique de Kabila, Boketshu rejoint le groupe « Bana Congo » et devient l'une des figures de proue d'une extension de ce mouvement, « les combattants ». À cette époque, il s'agit encore de marches pacifiques.

Nous sommes le 16 mars 2011, l'étoile montante de la musique congolaise, Fally Ipupa vient de donner son deuxième concert au Zenith de Paris et ce fut un véritable fiasco. Les combattants ont protesté devant la salle et cela deviendra même physique. C’est ainsi que commencera la longue débâcle entre les musiciens et les « combattants », ce mouvement radical qui se veut être le salut de la diaspora congolaise. Ils deviendront rapidement l'écho des frustrations et des lamentations d'une majorité silencieuse au sein de la diaspora congolaise.

La pression de la famille pour réussir en Europe et l’envoi de transferts de fonds, l'administration discriminatoire du pays d'accueil et la marginalisation de l'élite congolaise (d'abord Mobutu puis Kabila), tous ces points discutés par les combattants sont reconnus d’avantage de membres de la diaspora. Ces raisons sous-jacentes sont ramenées à un argument général : toute distraction doit être éliminée. Ce n'est que de cette manière que la diaspora peut être prise au sérieux. Fini de danser et de chanter sur la musique de musiciens "collaborateurs".

En 2021, seules quelques choses auront changé. Felix Antoine Tshisekedi est président depuis trois ans maintenant, Fally Ipupa a pu jouer son concert à Bercy de Paris l'année précédente, malgré de violentes protestations et Boketshu est plus populaire qu'il ne l'a jamais été.

Le régime actuel, comme ses prédécesseurs, n'a pas encore été en mesure de trouver une réponse aux frustrations de ces membres de la diaspora qui sont souvent issus de familles moins aisées et se sentent délaissées par l’Etat congolais.

Ceci dit, Komala se porte volontaire pour la mise en oeuvre d’une potentiel solution holistique, en créant notamment une stratégie incluant  la diaspora congolaise au-delà des simples transferts de fonds.

Grégory Dianzenza

 
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Le rôle et l'impact de l'innovation sur la jeunesse congolaise.